L’univers sonore et visuel de Ryoji Ikeda
Par Roger HELLOT, président de la F4A
Ryoji Ikeda est un artiste contemporain et un musicien japonais. Actif depuis plus de 12 ans sur la scène internationale, il propose des concerts, des performances visuelles et sonores, ainsi que des installations plastiques. Mais quels est donc son rapport avec l’astronomie ?
Décrivons en quelques mots le monde artistique de Ryoji Ikeda.
Il travaille les qualités intrinsèques du son et les phénomènes de perception acoustique, pour inscrire ses compositions électroniques dans une esthétique caractérisée par des formes minimalistes et des recherches sonores poussées en matière de timbre et de texture. Au premier degré, une écoute simpliste fait penser aux musiques planantes et psychédéliques des années soixante qui donnèrent naissance à de nombreuses musiques nouvelles. Elles prenaient comme sujet l’illustration sonore imaginative des profondeurs de l’espace et du monde des astres. Mais Ryoji Ikeda va plus loin.
Son univers est certes minimaliste. Mais à partir de sons simples souvent de percussion mais aussi de flash d’imagerie visuelle, il taquine le process de répétition jusqu’à la complexité extrême.
Ce n’est pas étonnant qu’il ait cherché dans le monde des atomes et du quantique autant que dans l’imagerie astrophysique les inspirations pour ses œuvres et ses créations comme « Micro-Marco ». L’artiste y explore l’infiniment grand avec les échelles de la dimension de l’univers de Planck, le lieu où les idées classiques de la gravité et de l’espace-temps cesse d’exister. Il se dit qu’il a démarré ses réflexions à partir du CERN, le laboratoire de recherche des particules à Genève. L’œuvre est une succession et une juxtaposition de représentation des hyper-structures de l’Univers, des galaxies puis des étoiles comme le Soleil avant de se fondre dans la représentation du monde des particules élémentaires au travers de graphismes d’inspiration mathématique.
Reprenons, parmi les rares moments où l’artiste s’est exprimé, ses paroles :
« Je ne souhaite pas à magnifier l’ordinateur ou les mathématiques, ce sont juste des expériences. L’expression peut paraître un peu abstraite car il faut bien une dose de mystère. En fait vous regardez quelque chose mais votre cerveau n’est pas capable de le gérer. C’est ça qui m’intéresse. J’aime cette approche intellectuelle car il n’y a pas d’autre véritable réponse ». Dans son œuvre « Code-Verse » apparaissent des paysages mathématiques faits de points et de lignes qui rejoignent des cartes lunaires pour se mêler aux éruptions solaires avant de se perdre dans les plans galactiques et l’imagerie des premiers instants du fond diffus de la naissance de l’Univers.
« Quand vous imaginez l’univers, il est si grand et si large, bien au-delà de votre imagination. Pourtant tout un chacun sait qu’il existe ! Essayez de représenter l’Univers tout entier peut apparaître comme une idée folle mais qui peut aussi vous impressionner, vous sublimer, vous inspirer. Pour ma part, je suis plutôt un compositeur. J’aime composer quelque chose. J’aime composer de la lumière, des couleurs et des lignes de pointes et de chiffres pour transformer ma composition en une forme de clé. Ainsi ma création d’art visuel devient une composition. J’y utilise ma propre palette, d’objets mathématiques, d’objets de la physique et de la mécanique quantique qui deviennent alors les couleurs personnelles de ma création. »
Si pour certains les œuvres apparaissent froides et rigides, elles sont néanmoins colorées, particulièrement rythmées.La succession parfois vertigineuses des images et des sons n’empêche pas la dimension méditative d’entrer en nous.
« Je ne souhaite pas réfléchir aux émotions ressenties par les spectateurs », nous dit l’artiste, « Car si vous pensez à l’émotion créé chez le spectateur vous risquez de vouloir en prendre la direction ou au pire par vouloir abandonner. Or nous éprouvons tous des émotions, c’est pourquoi je ne cherche pas à donner une quelconque direction à l’émotion dans mes œuvres. Tristesse, joie ou rien du tout, je fais simplement mon travail et c’est tout. »
Ryoji Ikeda s’affirme comme un artiste particulièrement extraordinaire car s’il travaille comme beaucoup sur des concepts difficiles, intéressants et importants, il réussit par leurs visualisations dans ses œuvres à les rendre vraiment accessibles.
« Je ne cherche pas à dégager une idée précise dans mes créations. Je fais simplement de mon mieux. Les spectateurs me rejoignent ensuite et fusionnent dans une appréciation globale. C’est comme si je ne réalisais que la moitié de la pièce pour que les spectateurs complètent l’autre moitié. Il faut dire que sans audience, tout ce que je fais ne sert à rien ! J’ai vraiment besoin des spectateurs. C’est comme un concert sans auditoire, cela ne sert à rien ! C’est la vie ! »
Musica 2020 rend un hommage particulier à l’artiste Ryoji Ikeda dans sa programmation de cette année :
– « 100 cymbals », créé en 2019, est présentée pour la première fois en France par les Percussions de Strasbourg. « 100 cymbals » est une plongée dans les abysses de la vibration qui se révèle comme une puissante ressource polyphonique (Jeudi 17 septembre à 20h au Palais des congrès de Strasbourg).
– « Live Set » sera un plongeon dans un bain techno-numérique présenté par Ryoji Ikeda lui-même (Jeudi 17 septembre à 21h30 au Maillon de Strasbourg). Il faudra choisir !
– « Body Music » et « Metal Music » sont des créations françaises pour se propulser dans l’univers du triangle et des crotales (Vendredi 18 septembre à 20h30 au Palais des congrès de Strasbourg).
– « Superposition », la symphonie du maître à ne pas manquer, une œuvre multidimensionnelle sur 22 écrans où défilent l’hégémonie de la révolution quantique et les paysages spatiaux et numériques (Vendredi 26 septembre à 20h20 au Maillon).
Nous ne pouvons que recommander de courir à la billetterie de Musica et d’inviter les amateurs de belles sensations à aller découvrir cet artiste exceptionnel qui cherche à propulser le spectateur vers les profondeurs des galaxies sonores pour nourrir de nouvelles expériences d’écoute par la déconstruction du rituel du concert.
Sources d’information : la documentation Musica 2, The immense electronic art of Ryoji Ikeda, ABC news of Australia.
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